Au niveau mondial, 3,1 millions de personnes ont été arrêtées pour des infractions liées aux drogues. En 2023, plus de 40 % des exécutions recensées dans le monde étaient motivées par ce type d’infractions.
Réaffecter les 100 milliards de dollars de la lutte contre les drogues pour qu’ils ne soient plus consacrés à la pénalisation mais à la santé publique.
Jeudi 5 décembre 2024 (Genève, Suisse) – Dans son dernier rapport, intitulé De l’échec de la pénalisation à la réforme des politiques en matière de drogues, la Commission globale de politique en matière de drogues appelle aujourd’hui à reconsidérer la réponse mondiale face à l’augmentation du nombre de décès par surdose, à l’accroissement de la violence, à l’approvisionnement en drogues toxiques et à la crise du système de justice pénale.
En 2022, on estimait à 292 millions le nombre de personnes dans le monde qui consommaient des substances illicites, contre 185 millions il y a vingt ans. Le cannabis reste la drogue la plus consommée et présente moins de risques pour la santé que l’alcool ou le tabac, mais les politiques prohibitionnistes continuent de criminaliser des millions de personnes. La prohibition des drogues a toujours échoué à atteindre les objectifs qu’elle s’était fixés, à savoir réduire la consommation de drogues et l’ampleur du trafic de drogues. Cet échec n’est guère surprenant : ces substances ont toujours été consommées, ce qui montre clairement qu’une autre réponse s’impose.
Les politiques punitives sont responsables de violations graves des droits humains, notamment la peine de mort et la détention arbitraire, mais elles portent également atteinte à la santé publique et elles enrichissent les marchés illégaux. Malgré ces défauts, la détention reste l’une des principales réponses mondiales aux infractions liées aux drogues.
« La « guerre aux drogues » entraîne une hausse vertigineuse des taux d’incarcération, une augmentation du nombre de décès par surdose et des violations persistantes des droits humains. Il est temps que le monde s’oriente vers des politiques en matière de drogues qui respectent la santé publique et les droits humains », estime Helen Clark, Présidente de la Commission globale de politique en matière de drogues et ancienne Première ministre de la Nouvelle-Zélande. « Ce rapport démontre clairement que l’approche de la réduction des risques liés à la consommation de drogues est efficace. Il s’agit d’une nécessité de santé publique, et non d’une position morale ».
Ce rapport intervient à la veille de changements importants dans la politique en matière de drogues, notamment en Écosse, avec l’ouverture du premier centre de prévention des surdoses à Glasgow et le lancement le 11 décembre de la charte des droits pour les personnes qui consomment des substances psychoactives. Ces initiatives représentent une approche avant-gardiste de la politique en matière de drogues, axée sur la protection et non sur la sanction.
En revanche, l’Ontario (Canada) va dans la direction opposée en déposant un projet de loi visant à fermer la moitié des centres de prévention des surdoses de la province, risquant de réduire à néant des années de progrès en matière de réduction des risques. Les gouvernements consacrent environ 100 milliards de dollars par an à des politiques punitives inefficaces et nuisibles, qui criminalisent les causes profondes de la consommation de drogues au lieu de s’y attaquer. Ces politiques marginalisent encore plus les individus et leur rendent plus difficile l’accès au soutien nécessaire. Le rapport insiste sur l’urgence de préserver les efforts de réduction des risques dans un contexte politique et législatif en évolution.
Pour Louise Arbour, ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et membre de la Commission globale de politique en matière de drogues : « Alors qu’une nouvelle administration va entrer en fonctions aux États-Unis, les mesures de réduction des risques doivent être renforcées pour faire face à la crise des opioïdes. Le Canada doit continuer à respecter son engagement à l’égard des politiques de réduction des risques, qui ont joué un rôle essentiel dans la diminution du nombre de décès par surdose et dans le soutien aux communautés marginalisées ». Les reculs en Ontario et en Colombie-Britannique, ainsi que les incertitudes aux États-Unis, soulignent les défis que pose la poursuite de politiques en matière de drogues qui soient progressistes et fondées sur des données probantes.
L’Amérique latine reste confrontée aux conséquences préjudiciables des lois punitives sur les drogues. Toutefois, des pays comme l’Uruguay et la Colombie montrent la voie en matière de décriminalisation et de réduction des risques. Diego García-Sayán, ancien ministre des Affaires étrangères du Pérou et membre de la Commission globale de politique en matière de drogues, rappelle les leçons à tirer pour la région : « Des pays comme le Portugal et l’Espagne ont démontré que la dépénalisation et les stratégies de réduction des risques permettent de faire reculer de manière significative le VIH, l’hépatite C et les décès par surdose. L’Amérique latine doit à son tour prendre des mesures ambitieuses ».
En 2011, lorsque la Commission globale de politique en matière de drogues a appelé pour la première fois à une réglementation légale des drogues à usage non médical pour les adultes, aucun pays n’avait encore franchi le pas. Aujourd’hui, vingt-quatre États des États-Unis et Washington D.C., ainsi que des pays comme l’Uruguay, le Canada, la Thaïlande, Malte, le Luxembourg et l’Allemagne ont légalisé le cannabis et réglementé sa production, sa vente et sa consommation. D’autres juridictions ont décriminalisé l’usage et la possession de cannabis à des fins personnelles, ainsi que la culture de petites quantités.
Le rapport plaide pour des réformes fondées sur l’équité, en soulignant l’importance de la réglementation pour gérer les marchés non réglementés. Malgré certains progrès, les réformes restent fragmentées et basées sur des approches punitives. La prohibition des drogues nuit de manière disproportionnée aux communautés marginalisées, les forces de l’ordre ciblant les zones défavorisées et les minorités raciales. Ces lois servent souvent d’outils de contrôle social.
La décriminalisation et la réglementation améliorent les résultats sanitaires et sociaux sans pour autant favoriser la consommation de drogues. En 2024, 39 pays avaient décriminalisé la consommation de drogues, entraînant une amélioration notable de la santé des consommateurs de drogues. Cependant, la consommation de drogues en public est stigmatisée, ce qui alimente le rejet des réformes – en particulier pour les sans-abri – alors qu’elle est largement acceptée lorsqu’il s’agit de substances légales comme l’alcool et le tabac.
« L’Asie doit donner la priorité à la réduction des risques et adopter les principes de la décriminalisation afin d’éviter que les personnes qui consomment des drogues ne subissent d’autres préjudices », affirme Anand Grover, co-auteur du rapport, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la santé et membre de la Commission globale de politique en matière de drogues. Le rapport condamne le recours généralisé aux centres de traitement obligatoire, qui violent souvent les droits humains fondamentaux, ainsi que le recours de plus en plus fréquent à la peine de mort et aux châtiments corporels pour les délits liés aux drogues. Ces pratiques ont un impact disproportionné sur les groupes marginalisés, notamment les migrants et les ressortissants étrangers, et appellent à une réorientation vers des politiques fondées sur des données probantes et respectueuses des droits en Asie.
Les principales conclusions du rapport sont les suivantes :
- Les surdoses ont coûté la vie à plus d’un million de personnes aux États-Unis au cours des deux dernières décennies, et à plus de 40 000 personnes au Canada au cours des huit dernières années. Ces décès, ainsi que le nombre croissant d’infections par des virus hématogènes dans de nombreuses régions du monde, démontrent l’échec direct des politiques actuelles axées sur la sanction plutôt que sur la santé et la réduction des risques.
- En 2020, environ 3,1 millions de personnes ont été arrêtées dans le monde pour des infractions liées aux drogues, principalement pour simple possession. En 2023, environ 11,5 millions de personnes étaient incarcérées dans le monde, dont 20 % pour des infractions liées aux drogues, ce qui confirme l’importance accordée à la criminalisation des acteurs de bas niveau.
- En 2022, le financement de la réduction des risques dans les pays à revenu faible ou intermédiaire ne représentait que 6 % des besoins estimés.
Et Helen Clark d’ajouter : « Nous devons réorienter les fonds qui servent actuellement à la répression vers des programmes de réduction des risques qui sauvent des vies, améliorent la santé publique et réduisent la charge qui pèse sur les systèmes judiciaires ».
Recommandations
Ce rapport appelle à une réforme urgente de la politique mondiale en matière de drogues, qui met l’accent sur la santé, les droits humains et l’équité sociale. Il plaide en faveur de la décriminalisation de la consommation de drogues et de l’extension des stratégies de réduction des risques.
Les principales recommandations sont les suivantes : inviter instamment les Nations Unies à promouvoir des lois qui respectent la santé et les droits humains des personnes qui consomment des drogues ; mettre en oeuvre des mesures de réduction des risques telles que le traitement par agoniste opioïde (TAO), les programmes d’échange d’aiguilles et de seringues (PES), la naloxone, l’analyse des drogues et les centres de prévention des surdoses (CPS) pour sauver des vies et améliorer la santé publique ; appeler les gouvernements à décriminaliser totalement la consommation, la possession, la culture, et l’achat de drogues, ainsi que le matériel pour la consommation de drogue, tout en étudiant des modèles d’approvisionnement plus sécuritaire et en proposant des solutions réglementées et plus sécuritaires afin de réduire le nombre de décès par surdose.