Le Canada a été pionnier en matière de réduction des méfaits en Amérique du Nord avec l’ouverture d’Insite à Vancouver, premier site de consommation supervisée (SCS) légal, en 2003 – près de deux décennies avant l’ouverture du premier site du genre aux États-Unis.
S’appuyant sur les preuves scientifiques qui émergeaient de pays européens comme la Suisse, le Canada a également lancé les premiers programmes de traitement assisté par l’héroïne en Amérique du Nord en 2005. Ces programmes offrent une option cruciale pour les personnes dépendantes aux opioïdes qui ne répondent pas à d’autres traitements et médicaments, comme la buprénorphine et la méthadone.
En déplaçant la consommation de drogues à l’intérieur, les SCS réduisent la consommation de drogues en public et préviennent l’abandon de seringues dans les espaces publics. Ils jouent un rôle crucial dans la prévention de la propagation du VIH, de l’hépatite virale et d’autres infections.
Les SCS offrent une voie cruciale vers les soins de santé en maintenant les gens en vie – aucune surdose mortelle n’a eu lieu à l’intérieur d’un SCS – et en établissant un lien de confiance avec ceux qui évitent certains services plus traditionnels en raison de la stigmatisation et de la discrimination.
Ils mettent les individus en relation avec des services de santé et sociaux essentiels, notamment le traitement, le logement et l’aide à l’emploi.
Ces dernières années, l’approvisionnement en drogues en Amérique du Nord est devenu de plus en plus toxique, l’héroïne de rue étant supplantée par des mélanges imprévisibles de drogues de synthèse comme le fentanyl et la xylazine. Le Canada s’est distingué avec sa poursuite audacieuse de politiques basées sur la santé publique et les droits de la personne, y compris des projets pilotes visant à décriminaliser l’usage et la possession de drogues à des fins personnelles.
Il faut blâmer le fentanyl
Les politiques éclairées du Canada en matière de drogues sont aujourd’hui confrontées à un troublant retour de bâton.
Plus tôt cette année, la Colombie-Britannique a recriminalisé l’usage de drogues dans les lieux publics, et l’Ontario fermera effectivement plus de la moitié de ses SCS en imposant une zone de 200 mètres autour des écoles et des garderies où ils seront interdits et en refusant de financer les sites qui devront déménager pour se conformer à cette règle. La province prévoit également d’empêcher les municipalités et les organisations d’ouvrir de nouveaux SCS ou de demander la décriminalisation fédérale des drogues.
Les opposants à la réduction des méfaits affirment qu’elle a contribué à l’augmentation des morts par surdose, de la criminalité et du désordre public. Les preuves scientifiques ne soutiennent pas ces affirmations.
La hausse des décès en Amérique du Nord est due à l’augmentation du fentanyl dans l’approvisionnement illicite en drogues, et non à la réduction des méfaits ou à la décriminalisation. En effet, les interventions de réduction des méfaits, y compris les SCS, ont été une bouée de sauvetage indispensable pour répondre à la montée du fentanyl, tandis que les politiques punitives, la stigmatisation et la discrimination n’ont fait qu’entraver les efforts pour répondre de manière efficace à cette crise.
La décriminalisation n’a jamais été conçue comme une politique qui se suffit a elle-même ; même si elle est bien planifiée, elle doit être associée à des interventions qui réduisent les morts par surdose et fournissent un soutien sanitaire et social complet aux personnes qui consomment des drogues.
Les politiques en matière de drogues doivent être holistiques et exhaustives. L’efficacité de la décriminalisation réside en partie dans la libération de ressources publiques, car les économies réalisées en justice pénale et pour l’application de la loi peuvent être réorientées vers des interventions de santé publique et sociale telles que la prévention, la réduction des méfaits, le traitement et le logement.
Les limites du traitement forcé
De nombreux opposants politiques à la réduction des méfaits préconisent des solutions de rechange « basées sur la guérison », appelant à ce que « tous les toxicomanes suivent un traitement ». Bien que le traitement fondé sur des preuves scientifiques soit un pilier crucial d’une politique équilibrée en matière de drogues, certaines provinces s’orientent vers la mise en œuvre ou l’extension du traitement forcé. Les partisans du traitement obligatoire le présentent comme une approche de fermeté à l’égard des individus dont la consommation de substances a gravement nui à leur santé et à leur sécurité, ainsi qu’à celles de leurs familles et de leurs communautés.
Ce point de vue simplifie à l’extrême des questions complexes et contredit les recommandations de l’ONU selon lesquelles le traitement de la toxicomanie devrait être volontaire.
Les recherches montrent que le traitement obligatoire n’est pas plus efficace que le traitement volontaire et entraîne souvent des violations des droits de la personne et des préjudices supplémentaires, dont des surdoses mortelles après la sortie. Les avantages à court terme du traitement obligatoire ne sont pas durables, car les risques de rechute, de surdose et de décès sont plus élevés. Les troubles liés à l’usage de substances psychoactives présentent de multiples facettes et la guérison implique souvent plusieurs rechutes avant de parvenir à un rétablissement durable – l’abstinence ne devrait pas être le seul critère de réussite.
Il est important de noter que le financement fédéral récent est un signe d’espoir au milieu de ces défis. Ottawa a annoncé un engagement de 86,8 millions de dollars pour 96 nouveaux projets de prévention des dépendances et des surdoses au Québec, y compris un soutien crucial aux organismes communautaires. Cet accord quadriennal, d’une durée deux fois plus longue que les programmes précédents, porte à la fois sur la recherche clinique et sur les interventions communautaires – des ressources vitales pour la prévention des surdoses.
Cette avancée souligne que la réduction des méfaits doit continuer de se poursuivre, et ne pas être abandonnée.
Les politiques en matière de drogues du Canada doivent rester exhaustives. Plutôt que de poursuivre des approches punitives, les ressources doivent soutenir la prévention, le traitement volontaire et la réduction des méfaits, en particulier pour les groupes marginalisés, notamment les femmes, les jeunes, les communautés racialisées et les peuples autochtones. Ce n’est pas le moment de faire marche arrière, mais de s’appuyer sur l’engagement du Canada à sauver des vies.
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