The Global Commission on Drug Policy Events & News / SWITZERLAND – Qu’a-t-on appris des scènes ouvertes de la drogue du Platzspitz et du Letten?

SWITZERLAND – Qu’a-t-on appris des scènes ouvertes de la drogue du Platzspitz et du Letten?

SWITZERLAND – Qu’a-t-on appris des scènes ouvertes de la drogue du Platzspitz et du Letten?

L’apparition du crack en Suisse a réveillé de mauvais souvenirs: le spectre des scènes ouvertes de la drogue du Platzspitz et du Letten, à Zurich, a resurgi. La politique innovante mise en place pour répondre à la crise des années 1980 et du début des années 1990 est-elle toujours efficace? Quels sont les enseignements de cette page sombre de l’histoire sanitaire suisse?

Le documentaire “Addictions” du Neuchâtelois Jacques Matthey nous replonge dans cette époque pour comprendre comment policiers, travailleurs sociaux, soignants et politiciens ont dû innover pour venir à bout des scènes ouvertes de la drogue – soit la consommation à ciel ouvert de centaines de personnes, principalement en Suisse alémanique -, pour faire chuter le nombre de décès par overdose et stopper la propagation du virus du sida.

Il y avait urgence à trouver une solution […] Il y avait donc une disponibilité à accepter des changements qui n’avaient pas été possibles avant.

– Ruth Dreifuss, conseillère fédérale de 1993 à 2002

A l’époque, la drogue est une des préoccupations majeures de la population. Les images de toxicomanes qui se piquent en nombre à Zurich font le tour du monde. Des centaines de personnes, souvent jeunes, meurent d’overdose et le sida se propage à cause du partage des seringues.

En 1993, Ruth Dreifuss entre en fonction comme ministre de l’Intérieur. “Il y avait urgence à trouver une solution et nous étions dans l’incapacité de faire face à une situation d’une telle ampleur. Il y avait donc une disponibilité à accepter des changements qui n’avaient pas été possibles avant”, rappelle Ruth Dreifuss dans le documentaire “Addictions”.

Ruth Dreifuss a montré une ouverture aux professionnels spécialisés et favorisé leurs échanges dans tous les cantons.

– Philippe Lehmann, chef de la section “Drogues” à l’Office fédéral de la santé publique

A ce moment-là, la politique des drogues en Suisse s’appuyait sur trois piliers: la répression, la thérapie visant l’abstinence et la prévention. La ministre instaure alors le dialogue et la collaboration entre les différents services, notamment entre policiers et travailleurs sociaux. “Ruth Dreifuss a montré une ouverture aux professionnels spécialisés, favorisé leurs échanges, multiplié les visites sur le terrain et maintenu des contacts réguliers avec les cantons”, explique Philippe Lehmann, chef de la section “Drogues” à l’Office fédéral de la santé publique.

Pour tenter de répondre à la problématique des scènes ouvertes, des projets pilotes sont mis en place. Les consommateurs sont autorisés à consommer la drogue achetée dans la rue dans des centres d’injection contrôlés où des seringues propres sont distribuées. C’est la mise en place du 4ème pilier: la réduction des risques et des dommages et l’amélioration des conditions de vie des consommateurs de drogue.

Devenu invisible aux yeux du public, le fond du problème n’a jamais disparu

La fin de cette crise et la quasi-disparition des scènes ouvertes de la drogue en Suisse ont été un succès. Mais le fait que la consommation soit devenue invisible aux yeux du public a paradoxalement contribué à endormir la vigilance des politiciens et des autorités face à un problème qui, s’il ne fait plus de dégâts aussi spectaculaires qu’à l’époque, n’a jamais disparu.

Au contraire: la consommation de drogues est à la hausse, en Suisse comme en Europe. Selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), celles-ci n’ont jamais été aussi accessibles qu’aujourd’hui.

Cannabis et cocaïne: les deux substances illégales les plus consommées en Suisse

Dans les villes suisses, la consommation de cocaïne et d’ecstasy est bien supérieure à la moyenne européenne. Le cannabis est répandu dans toutes les eaux usées testées en Europe, mais c’est à Genève que l’on a trouvé la plus grande preuve de sa consommation, selon l’étude publiée par la société d’analyse des eaux usées SCORE Group, en collaboration avec l’OEDT.

“On a tellement dit que la Suisse avait été pionnière dans le domaine qu’on a l’impression que maintenant on peut se reposer sur nos lauriers: ce n’est pas le cas”, avertit Ruth Dreifuss dans le documentaire “Addictions”. “La Suisse est un pays riche et donc intéressant pour le trafic international. Ce n’est pas un pays où la violence règne et le business préfère avoir un environnement paisible pour prospérer. Les gens ici ne sont pas conscients qu’avec la prohibition des drogues, on a laissé se développer un monstre.”

On devrait faire un pas de plus et discuter le problème de la prohibition en tant que tel. Personne n’est en train de dire qu’il faut tout libéraliser, attention. On parle de réglementer le marché.

– Dick Marty, procureur du Tessin de 1978 à 1989

Un point de vue partagé dans le documentaire par l’ancien procureur tessinois Dick Marty, qui a longtemps lutté contre le trafic international de stupéfiants: “On ne peut plus laisser ce marché en mains criminelles. On devrait faire un pas de plus et discuter le problème de la prohibition en tant que tel. Personne n’est en train de dire qu’il faut tout libéraliser, attention. On parle de réglementer le marché. Le marché existera de toute façon. Alors, est-ce qu’on veut un marché noir avec tout ce que cela implique ou le combattre en créant un marché contrôlé? Ce n’est pas facile, je l’admets, on n’a pas de solution miracle dans ce domaine. Mais ce que je sais, c’est qu’il y a des grands criminels qui continuent de s’enrichir.”

Le virus de la corruption

Pour Dick Marty, le danger le plus important vient de la corruption engendrée par le trafic de drogue: “Quand vous avez énormément d’argent, vous mettez en action la corruption. Aujourd’hui encore, on doit trouver une stratégie pour toutes ces substances. Les produits qui créent des effets psychotropes et de la dépendance ont toujours existé. Le problème, c’est de savoir vivre avec.”

La réalité du terrain

Le documentaire “Addictions” nous rappelle que les grandes avancées de l’époque ont été réalisées grâce à la mise en place de projets pilotes adaptés au terrain. Ces expériences documentées scientifiquement ont été inscrites dans la loi uniquement au moment où preuve a été faite que la situation s’améliorait. Cette politique des petits pas, calée sur la réalité du terrain, a permis la sortie de crise.

Mais le film de Jacques Matthey a surtout le mérite de rappeler qu’à l’époque, la gravité de la situation avait fini par mettre tout le monde d’accord sur un point: les réponses simplistes et la récupération politique ne menaient nulle part.

 

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